extrait du livret 6 : émigrés à San Francisco

Publié le par memoire-d-auzits

     Ils avaient émigré à San Francisco                    

 

 

                                                                                    Texte écrit par leur fille

 

 

    Mon papa, né en 1880 à Bournazel, était l’aîné d’une fratrie de neuf enfants dont deux décèderont en bas-âge. Après la scolarité, vers onze ou douze ans, il fut placé comme berger dans une ferme des environs. Vers dix sept ans, ses parents l’envoyèrent en apprentissage chez un tailleur à Cransac.

    Là, il rencontra des jeunes de son âge, garçons et filles, qui, à cette époque, dans ce monde ouvrier, avaient un peu plus de liberté que les jeunes vivant à la campagne. A Cransac, ils aimaient bien chanter, danser. Papa racontait que lors de la fête votive de Bournazel, à la St Sébastien, il avait invité des copains et deux jeunes filles à venir danser l’après-midi, sur le foirail. Cachés derrière les arbres de la place, des yeux curieux détaillaient surtout les deux jeunes filles qui avaient la permission et l’audace de danser avec  les jeunes gens du village. Le fait fut aussitôt rapporté à ma grand-mère ; lorsque papa rentra pour dîner, il eut droit à un terrible sermon. Alors, au lieu de se mettre à table, il prit sa musette et repartit à pied à la tombée de la nuit pour Cransac.

   A vingt ans, il fut appelé pour faire le service militaire à Lyon, dans l’infanterie. Un an après, de retour à la vie civile, il chercha du travail. Peut-être, avait-il envie de découvrir un autre monde, d’autres façons de vivre ?. Il savait que des jeunes de Cransac, de Decazeville, des environs, étaient partis pour les Etats-Unis. Alors, avec deux ou trois de ses copains, ils décidèrent de tenter l’aventure.

    Lui, savait où il se rendrait, car un compatriote de Bournazel, Mathat, avait un hôtel à San Francisco,  en Californie. C’est là, en effet, qu’il prit pension et il s’y  retrouva comme en famille !. Il chercha du travail. Il commença par faire des retouches dans un magasin, puis exerça son métier de tailleur dans un atelier de confection. Il parlait souvent du tremblement de terre de 1906 qui détruisit une bonne partie de la ville de San Francisco. En pleine nuit, il avait été réveillé et avait vu l’armoire qui se penchait. Il n’avait eu que le temps d’enfiler son pantalon, de descendre dans la rue sans rien d’autre que ce qu’il portait sur lui. Autour de lui, tout s’écroulait.

    La ville se reconstruisit assez rapidement et il reprit son travail. Le soir, il prit des cours pour apprendre la langue et put ainsi participer à certaines associations. Il aurait aimé s’investir davantage mais il était considéré comme « étranger». Il se fit donc naturaliser et de ce fait put voter, passer le permis de conduire, s’acheter une « Ford». Entre jeunes Aveyronnais, il y avait très souvent des rencontres : certains venaient de La Vinzelle, de Port d’Agrès….en général, tous gagnaient fort bien leur vie.

     Après dix ans vécus ainsi, il eut envie de revoir sa famille d’autant que son papa était décédé. Il demanda des congés, remplit une valise de coupons de tissu pour sa sœur qui était couturière et retrouva avec plaisir sa famille à Bournazel. Il y rencontra une jeune fille âgée de vingt ans, en congés comme lui, chez ses parents.

    C’était celle qui deviendra ma maman. Elle était «placée» dans une famille bourgeoise, à Paris ; elle élevait les enfants du couple employeur. Les fiançailles furent brèves: deux mois!. Le mariage eut lieu, «sans tralala», le 13 septembre 1911, devant Mr Garric, maire de Bournazel et le soir même, les voilà partis à Paris, par le train de nuit.

      Maman devait passer chez ses patrons pour leur annoncer son départ pour les Etats Unis. Les jeunes mariés reprirent ensuite le train pour Le Havre où là, ils embarquèrent pour New York. Le voyage en mer parut bien long à maman. Lorsqu’elle évoquait ces souvenirs, elle parlait d’un voyage qui avait duré de huit à douze jours…   je ne sais plus ! Pendant ce temps, sa maman, ses sœurs, à Bournazel, pleuraient, disant :  « nous ne la reverrons pas » !

   Arrivés à New York, ils prirent le train afin de traverser en largeur, le continent américain pour atteindre San Francisco. Maman, à son tour, chercha du travail et fut embauchée comme repasseuse dans une blanchisserie. Le travail lui plaisait, leurs salaires leur permettaient de vivre aisément. La vie, là-bas, à cette époque, était bien plus moderne que chez nous, à Auzits, surtout pour les femmes qui allaient à la plage, faisaient de l’équitation, prenaient le permis de chasse….

   Onze ans plus tard, n’ayant pas d’enfant, ils eurent envie de revenir vivre au pays, décidèrent d’acheter une petite ferme, pensant qu’avec les intérêts de l’argent restant, ils pourraient vivre tranquillement. Ils firent donc les valises et prirent le chemin du retour. Le trajet  parut moins long à Maman ; de plus, ils purent débarquer à Bordeaux à la fin de la traversée de l’Océan Atlantique.

Ensuite, ils firent halte dans le Lot et Garonne pour donner des nouvelles dans  les familles d’amis laissés en Californie. Arrivés à Bournazel, Papa fit les démarches pour reprendre la nationalité française. Puis ils se mirent en quête d’une ferme à acheter. Ce ne fut pas long, leur choix s’arrêta sur Auzits. Le propriétaire de la ferme de La Balguière partait à Paris tenter sa chance dans le commerce.

 

 

 

  Je pense que les premiers temps de leur vie à Auzits ont dû être très durs. Mais ils étaient courageux, en bonne santé. Au bout de huit ans de cette vie, Maman se sentit un peu fatiguée ; elle se rendit chez le médecin qui, après l’avoir examinée, lui dit :

« Madame, ne vous faites pas de souci ;  dans quelques mois, avec les beaux jours, vous serez guérie ! ». Mon arrivée prochaine bouleversa la vie tranquille qu’ils avaient  si bien organisée. Maman était âgée de trente neuf ans et Papa avait cinquante ans.

    A partir de là, débute une autre histoire marquée par des épisodes bien tristes, si tristes qu’ils faisaient dire à Maman : « Ah ! si le bateau qui nous ramenait de là-bas avait pu couler ! »

 

                                                                                                                                

 

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